A Rennes, les lieux intermédiaires font commun de leurs vécus et de leurs utopies.

Pendant deux jours, la Coordination Nationale des Lieux Intermédiaires et Indépendants (CNLII) a tenu son 3ème Forum national des lieux intermédiaires et indépendants aux « Ateliers du Vent » à Rennes. Après les éditions de 2014 et 2016, cette année était placée sous le signe des communs : « Faire commun(s), comment faire ? ». Un moment de rencontres, de retrouvailles et d’échanges au cours duquel les 250 participant.e.s ont témoigné leur besoin de reconnaissance auprès de l’État et des pouvoirs publics, de s’unir et faire front face à des défis de plus en plus complexes.

Qu’est-ce que la CNLII ?

« La CNLII a été constituée le 29 janvier 2014 lors du « Forum national des lieux intermédiaires ». Ce regroupement en coordination répond au besoin urgent exprimé pendant ce Forum d’une reconnaissance de la place et du rôle de ces lieux intermédiaires dans le paysage culturel français et d’une mise en réseau de leurs projets respectifs. » Il s’agit donc d’un regroupement informel de lieux indépendants qui disposent pour la plupart au moins d’un volet création et/ou diffusion artistique.

En deux jours, une véritable montée en puissance.

L’organisation de ces deux jours de rencontres était prise en main par ARTfactories/Autre(s)pARTsgroupe d’acteurs culturels et d’artistes, réunis autour d’un projet commun de transformation de l’action culturelle par l’expérimentation d’autres rapports entre art, territoires et société), le réseau Hybrides (qui porte une dynamique de structuration des lieux intermédiaires en région Bretagne) et les Ateliers Du Vent (ensemble d’artistes et de personnes engagé.e.s dans des démarches citoyennes qui font vivre collectivement un lieu d’expérimentations).

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Trois rencontres préparatoires ont eu lieu à Rennes au mois de mars, puis à Lille et Marseille au mois de mai. C’est au plus près des futur.e.s participant.e.s qu’ils.elles sont allés chercher les thématiques pertinentes à développer au cours du grand Forum. En sont ressortis les thèmes de la co-évaluation, de l’urbanisme transitoire et des communs. Des sujets suffisamment précis et pointus qu’il aurait été facile de tomber dans un jargon et un entre soi inaccessible au grand public.

Alors c’est par une première matinée assez dense que le Forum s’est ouvert. Quatre conférences-éclair de 30 minutes au choix parmi les huit possibles, pour une (re)mise à niveau sur des thèmes variés. On a abordé les droits culturels, les communs, les chartes d’usage, l’Economie Sociale et Solidaire (ESS), l’évaluation ou encore les friches et les enjeux spatiaux.

L’après-midi, les participants se sont répartis selon qu’ils souhaitaient travailler sur les communs, la co-évaluation ou l’urbanisme transitoire. Deux groupes se sont constitués par thème et ont dégagé chacun trois problématiques.

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Le lendemain matin, chaque groupe a envoyé ses trois problématiques à la discussion au sein des trois micro-plénières. Chaque micro-plénière disposait alors de deux problématiques sur chaque thème (co-évaluation, urbanisme transitoire et communs) qu’ils ont dû mettre en lien, regrouper, se faire correspondre, afin de dégager des questionnements et des pistes de travail plus ou moins transversaux.

Point d’orgue du Forum, la plénière de l’après-midi a vu les trois micro-plénières mettre en commun et discuter leurs conclusions respectives. Ce processus d’ateliers successifs (plus agréable à vivre qu’à lire et expliquer, on vous l’accorde) a permis, d’une part la prise de paroles de tou.te.s les participant.e.s sur un sujet choisi, et surtout sa prise en compte dans le résultat final de la plénière. L’organisation de cet événement a su créer une intelligence collective porteuse de sens et efficace.

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L’événement a rencontré son public. Des lieux de toute la France se sont déplacés pour l’occasion. Une moitié de bretons, également des personnes et des collectifs venus entre autres de Lyon (Friche Lamartine), Marseille, Annecy (L’Ecrevis), Bordeaux (La Fabrique Pola), Lille, Nantes, Toulouse (Mixart Mirys), Paris (59 Rivoli), Caen (Collectif Bazarnaöm, le Wip), Tours, etc. Si le milieu urbain était dignement représenté, le milieu rural n’était pas en reste avec notamment l’association cévenole Bouillon Cube ou la sud bretonne La Cimenterie.

« En tissant des liens, on laisse un tissu derrière nous… »

La diversité d’intervenant.e.s a permis de recadrer certaines notions et lancer les participant.e.s sur de nouveaux élans de réflexion. Plusieurs pays voisins étaient présents pour mettre en avant les avancées remarquables et inspirantes dans leurs pays. Les représentant.e.s de l’Asilo à Naples ont par exemple animé un atelier sur les chartes d’usage qui a permis de faire un pas de côté et d’avoir connaissance d’une expérience novatrice et de leur lutte pour une reconnaissance des droits d’usage des lieux intermédiaires dans les villes pour en faire un droit commun et affirmé dont l’État devient un soutien. La Belgique nous a requestionné sur les systèmes et les processus d’évaluation, remettant en cause les indicateurs et critères souvent quantitatifs avant tout des pouvoirs publics pour mettre en avant les valeurs culturelles qui animent nos projets, les apports qualitatifs et du bon sens dans des démarches d’évaluation collective et coopératives au long court. L’organisation avait également dépêché des intervenant.e.s plus institutionnel.le.s comme Anne-Christine Micheu (Ministère de la Culture) au sujet des droits culturels, ou encore des universitaires géographes, juristes, sociologues.

Et pour compléter le tableau, la proportion d’artistes présent.e.s a permis une certaine poésie dans les échanges sur des sujets parfois complexes et très terre-à-terre.

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Condensé des plus belles questions et réflexions entendues les 19 et 20 mai lors de ce 3ème Forum des lieux intermédiaires et indépendants :

Comment penser le commun par enjeux plutôt que par objectif ?
– A la question « Quelles traces laissons-nous derrière nos occupations de lieux ? », la réponse « En tissant des liens, on laisse un tissu derrière nous… »
– Comment s’assurer qu’un projet respecte l’intégrité d’un territoire et des personnes qui l’habitent ?
– Imaginer un jumelage entre projets au sein de la CNLII, afin de faciliter les partenariats et stimuler la solidarité entre lieux.
– Exiger l’excellence politique pour nous accompagner plutôt que nous contrôler.
– Comment passer du transitoire à la transition ?
– Placer la médiation culturelle plus en amont de nos pratiques.
– Pour les préserver et les reconnaître, est-il imaginable de donner la personnalité juridique aux lieux intermédiaires de Marseille, comme les néo-zélandais l’ont fait avec une rivière ?
– Entamer un travail commun avec les réseaux RFF (Réseau Français des Fablabs) et TILIOS (Tiers Lieux Libres et Open Source) qui rencontrent des difficultés très semblables aux notres.

Pour retrouver toutes ces questions, certaines réponses, d’autres débats et présentations, la CNLII propose toutes les interventions filmées sur son site internet : http://cnlii.org/2019/06/conferences-eclair-les-videos/

Stabilité, inaliénation, création, territoire, politique, soutien, conflit, hybridation, expression, pédagogie, militantisme, devenir, pédagogie, profits, … au cours des différents débats, les digressions ont été aussi nombreuses qu’intéressantes. Les prochaines éditions disposent d’un puissant réservoir de thèmes à développer !

A Nantes, des solidarités nouvelles !

Nantes, 300 000 habitants, combien de SDF ? Cette question a forcément traversé l’esprit de Yannick et Denis, deux nantais que l’on a rencontré et qui, chacun à leur manière, ont voulu combattre une injustice qui les indignait. La dignité que l’on a ôté à ces personnes, ils ont voulu la leur redonner à travers deux actions aussi singulières qu’innovantes.

Des aventures 100% citoyennes

Dans un cas comme dans l’autre, ce sont des mouvements qui sont nés face à une situation d’injustice jugée plus tolérable par ses instigateurs. Ils ont de commun leur naissance à la suite d’une histoire de relation humaine et d’une prise de conscience individuelle.

Nous sommes en 2008. Le jeune retraité Yannick, ancien cadre, fait la rencontre d’un gars de la rue bien connu du quartier, Serge, dit Le Gaulois. Ce jour-là, Serge est ronchon et n’affiche pas le sourire et l’amabilité qui lui sont habituels avec les passants. Engageant la conversation, Yannick apprend du Gaulois qu’il a enterré trois copains en 10 jours. Il raconte que chaque fois, c’est la même scène insoutenable : Les sans abris sont enterrés tôt le matin, le soleil n’étant parfois pas encore levé, sans un mot ou ni même une chanson, et souvent sans personne.

« Enterrés comme des chiens » disait Le Gaulois avant son décès il y a cinq ans. Pour son enterrement à lui, ils étaient une foule jamais vue pour un sans-abri à entonner « L’Auvergnat » de Georges Brassens et sa chanson fétiche « Rue des trois matelots ». Cette foule, c’était la Chorale « Au Clair de la Rue » qu’il avait fondé cinq ans plus tôt, en 2008 donc, avec Yannick, suite à leur échange. Composée uniquement de personnes en situation de précarité, à la rue ou non, elle a déjà accompagné quelques 300 enterrements de SDF. Ils mouraient « comme des chiens », aujourd’hui un élan de solidarité et de citoyenneté leur offre, à Nantes, un départ digne.

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Toujours à Nantes, Denis profite d’un après-midi ensoleillé de 2006 pour rester un peu en terrasse et prendre son café tranquillement. Il ne savait pas encore que ce café et cet instant allaient changer sa vie et celle de dizaines de personnes. Un homme s’avance vers lui et fait la manche, Denis lui donne un euro. Juste un euro. Puis, il réfléchit quelques instants : si on est plusieurs, voire beaucoup, à lui donner un euro, il n’aurait plus besoin de faire la manche cet homme-là ! Il aurait un chez-lui !

Deux ou trois calculs et une discussion avec son collègue Gwen plus tard, ils tiennent une idée qu’ils ne perdront pas de temps à mettre en place : avec 100 personnes qui font un don régulier de 20 euros par mois pendant cinq ans, ils achètent un studio ou un T1 dans Nantes, qui coute à peu près 100 000 euros, dans lequel reloger une personne à la rue !  Après déduction des impôts, un don de 20 euros revient effectivement à 5 euros par mois, soit un euro par semaine. Ce n’était pas une idée en l’air !

C’est parti ! Si la première année ne voit pas le nombre de donateurs s’envoler, ils finissent tout de même par acheter leur premier appartement et à y reloger une première personne. Parallèlement à ces dons réguliers qui financent l’achat des appartements, Gwen et Denis vont frapper aux portes des entreprises pour trouver de quoi financer l’accompagnement des personnes relogées, comprenant notamment le salaire d’une assistante sociale.

Onze ans plus tard, « Toit à moi » s’est développée à Paris, Angers, et Toulouse, et a permis de reloger, pour le moment, un peu plus de 50 personnes dans les 19 appartements achetés par les 1200 donateurs réguliers.

« Ce n’était rien qu’un bout de pain… »

« Toit à moi » reloge les personnes sans logement, et les accompagne au quotidien pour « recréer des étincelles » dans leurs vies. Pour cela, il faut des appartements achetés par les donateurs, des accompagnants salariés par les mécènes, et une équipe de 35 bénévoles.

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Une sortie cinéma, un après-midi couture, une ballade en ville, un repas, etc. les activités partagées avec les bénévoles participent à la reconstruction des personnes. Margaux, la salariée responsable des bénévoles se charge de faire coïncider les envies et les propositions de chacun : les deux fadas de l’OM iront regarder le match ensemble, pendant que les deux chineurs se rendront ensemble à la brocante le weekend suivant ! Ces activités ont le pouvoir de redonner goût à la vie à certains, comme un doux plaisir, un luxe, une madeleine de Proust, une chance, dans ces liens retrouvés et ces moments de partage. Que l’on ait un peu de temps ou un peu d’argent, on a tous à donner à « Toit à moi » !

Et quand on évoque un moment de partage et de convivialité, on pense au mardi après-midi dans la salle Colligny à Nantes. Jour de répétition hebdomadaire de la chorale « Au clair de la rue ». Selon les semaines, ils sont entre 20 et 30, à répéter leur répertoire traditionnel pour une heure ou deux. Les boiteux, les fous, les alcolo, les pas-tout-seul-dans-sa-tête, les lunaires, et les délirants forment tous ensemble « la seule chorale qui chante faux, mais avec le ton juste », comme ils aiment à le rappeler. Ils viennent trouver dans ce groupe une écoute et un environnement solidaire, non jugeant, et joyeux. Essayez de chanter la chanson « L’herbe tendre » à tue-tête avec vos copains, vous verrez que c’est une vraie bouffée d’air frais !

La chorale n’étant pas faite pour « obtenir des bons points pour le paradis », elle est réservée avant tout pour les personnes en situation de précarité. Les bénévoles ou les personnes voulant s’y impliquer ne peuvent le faire qu’à certaines conditions à voir avec la chorale.

Et loin d’être l’essentiel, mais la cerise sur le gâteau, la singularité de cette chorale les a menés à être invités à chanter aux quatre coins de l’Europe. A Bruxelles au Parlement européen, à Rome devant le Pape, ou accompagnés d’une cantatrice au Palais de Justice de Nantes, ce sont souvent des décalages et des moments de vie savoureux pour ceux qui les vivent. Avant tout, c’est la trentaine d’enterrements de personnes de la rue qu’ils honorent de leur présence chaque année, qui les motivent à répéter tous ensemble les chansons de Brassens, Gainsbourg, Nougaro, et autres airs plus paillards et franchouillards !

Nos sociétés occidentales vivent un étonnant paradoxe dont nous sommes les témoins tous les jours. Nous excluons, divisons, appauvrissons, et marginalisons tous les jours un peu plus. Dans le même temps, nous innovons, inventons, rassemblons et soudons des liens tous les jours un peu plus forts. Bien que de plus en plus de personnes meurent d’isolement, de faim et de froid dans les rues de Nantes et de France chaque année, de véritables ingénieurs de la solidarité se mobilisent pour que cette situation ne soit pas une simple fatalité.

 

Pour en savoir plus :

http://www.toitamoi.net/

https://www.choraleauclairdelarue.com/

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